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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Julien Sartre - 09/01/2021

Les violences atteignent un niveau inédit sur l’île française de Mayotte, ralliée par des migrants venus de tout l’archipel des Comores sur des embarcations de fortune. Expulsions à la chaîne, affrontements exacerbés par la crise sanitaire, voire émeutes... La politique sécuritaire des autorités suscite la controverse. Reportage.

Mamoudzou (département de Mayotte).– « Jeje ! Jema. Bonjour ! Ça va ? » La courtoisie des échanges en shimaoré, dérivé du swahili pratiqué dans l’archipel des Comores, est trompeuse. Comme la nonchalance des habitants de la plage de Tzakany, allongés sur le sable au nord de la Grande-Terre, dans le village de Tsingoni.

 

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« Les kwassas [embarcations de bois utilisées par les migrants des Comores pour rallier l’île française de Mayotte – ndlr] n’abordent plus sur les plages de village parce qu’en deux minutes, s’ils le faisaient, toute la population serait là et les remettrait à la mer », constate, désabusé, un habitant de la commune voisine de M’Tsamboro. « Il n’y a pas si longtemps, des habitants ont empêché un hélicoptère sanitaire de porter secours à un enfant malade qui débarquait par kwassa et avait besoin d’une hospitalisation d’urgence », se souvient un journaliste de Mamoudzou, la capitale.

La chaleur n’est rien de moins qu’étourdissante sur la côte nord de l’île de Mayotte. Voilà le (rare) visiteur prévenu : la situation peut déraper en quelques minutes, de la nonchalance la plus totale au déchaînement de violence et à l’agression sauvage. Toutes les histoires qui circulent sur cette petite île surchauffée et surpeuplée ont un point commun : elles alimentent une rhétorique, une surenchère sécuritaires dont les victimes expiatoires sont les Anjouanais, les Mohéliens et les Grands-Comoriens.

Habitants d’Anjouan, de Mohéli et Grande-Comore, ils viennent à Mayotte à bord d’embarcations de fortune depuis que le « visa Balladur », imposé en 1995, empêche la circulation légale entre les quatre îles des Comores, dont Mayotte est la dernière – et la seule – demeurée sous administration française lors de l’indépendance de l’archipel en 1975.

Anjouan depuis une plage du nord de Mayotte, dans l'océan Indien. © JS
Anjouan depuis une plage du nord de Mayotte, dans l'océan Indien. © JS
 

Depuis les plages du nord de Mayotte, par temps clair, on aperçoit Anjouan, dont le profil se détache nettement sous les nuages. De l’autre côté du bras de mer, à moins de 70 kilomètres, la nuit, c’est Mayotte qui se détache sur le fond sombre de l’océan Indien et brille de ses lumières, alors qu’Anjouan, où l’électricité est rare, demeure sombre. Alors, parfois, la rhétorique et les histoires répétées jour après jour deviennent meurtrières.

Les naufrages des kwassas-kwassas ont fait au moins 10 000 morts entre 2002 et 2012, selon une estimation d’un rapport sénatorial. Depuis, les chiffres manquent. Un guide à destination des proches des morts et disparus en mer a été publié à la fin de l’année dernière par une association mais on n’y trouve pas de tableau exhaustif. L’administration française, contactée par Mediapart, reconnaît qu’il y a « un vrai sujet » mais ne fournit pas le nombre de procédures ouvertes pour « recherche des causes de la mort » lorsqu’un corps est retrouvé sur le rivage. Les chiffres seraient indisponibles « parce qu’ils seraient forcément imparfaits, en raison du fait que les naufrages n’ont pas lieu uniquement dans les eaux territoriales françaises ».

Une nuit de novembre 2019, dans les eaux territoriales françaises précisément, un kwassa-kwassa a été intercepté par la police aux frontières (PAF). Il se trouvait non loin de l’îlot M’Tsamboro, exactement en face d’Anjouan. À son bord, 19 personnes dont Djassadi Farid, 26 ans, agriculteur et soutien de famille de nationalité comorienne. Le jeune homme tentait pour la première fois la traversée. Il a expliqué à Mediapart, qui l’a rencontré à Mayotte, venir dans le département français « chercher la vie », selon l’expression consacrée.

Ce soir de novembre 2019, la mer est belle, la visibilité correcte. Le navire de la PAF percute le kwassa-kwassa à plusieurs reprises. Effrayé par les manœuvres de la police, le jeune Djassadi se met debout avant la première collision et tombe à la mer. Ses appels au secours ne sont pas entendus, perdus dans la panique de la course-poursuite. Lors d’un deuxième passage, les hélices du navire de la police lui ont sectionné les membres inférieurs et l’ont blessé grièvement à la tête.

Dans leurs auditions, que Mediapart a pu consulter, les témoins décrivent une mare de sang « si effrayante que même les policiers ont eu peur et ont dit à tout le monde de ne pas regarder ». Djassadi a été emmené au Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), où il a survécu, mais il a dû être amputé des deux jambes.

À ce jour, aucune poursuite n’est engagée à l’encontre des policiers, qui ont seulement été entendus comme témoins. La seule personne mise en examen par le juge d’instruction est le pilote du kwassa-kwassa, pour « refus d’obtempérer […] lors du contrôle en mer d’un navire, aide au séjour irrégulier d’un étranger en France » et « violation d’une obligation de sécurité ».

« L’enquête est toujours en cours, déclare le procureur de la République de Mamoudzou, Yann Le Bris, sollicité par Mediapart. Il ressort des éléments d’information dont je dispose qu’avant d’être expulsées vers Anjouan, les personnes témoins des faits ont pu être entendues sur demande du juge d’instruction. Il vaut mieux être prudent dans cette affaire. Les services de police dans leur activité au quotidien ne font pas obstacle à l’activité judiciaire, il n’y a pas eu de précipitation dans la manière dont cette affaire est menée. »

Il semble pourtant que personne n’ait cherché à caractériser une faute de la PAF et les autorités françaises à Mayotte font bloc derrière les forces de l’ordre. « La première mission et le premier réflexe des intercepteurs en mer est le sauvetage des vies et la mise en sécurité des personnes, affirme Nathalie Gimonet, sous-préfète chargée de la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. Du fait que bien souvent les personnes qui sont à bord ne savent pas nager, la priorité est de les faire monter à bord du navire de la police afin de les mettre en sécurité en dehors de ces embarcations surchargées et peu stables. »

Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir laissé les personnes arriver sur la plage ? « Si réellement le souci premier des intercepteurs était la mise en sécurité des personnes, comment expliquer un tel drame ?, s’indigne Marjane Ghaem, avocate au barreau de Mamoudzou et conseil de Djassadi Farid. C’est bien cette course-poursuite qui a coûté ses jambes à Djassadi. »

Ce dernier vit à Mayotte dans l’attente d’un titre de séjour. Lorsqu’il a appris la tragédie, son père l’a rejoint, et tous deux se cachent désormais de la police. Ils survivent grâce à l’aide humanitaire et sont pris en charge par la Croix-Rouge dans un quartier d’une commune limitrophe de Mamoudzou. Des aides, des prothèses pour ses jambes et un statut légal sur l’île lui ont été promis lorsqu’il était hospitalisé mais ces promesses n’ont pas été tenues. Il n’a guère eu le droit que de garder son fauteuil roulant lors de sa sortie brutale de l’hôpital. Ses démarches et recours pour obtenir un statut régulier sont au point mort.

Djassadi survit dans des conditions précaires avec l'aide de son père, à ses côtés, non loin de Mamoudzou, la capitale. © JS
Djassadi survit dans des conditions précaires avec l'aide de son père, à ses côtés, non loin de Mamoudzou, la capitale. © JS
 

Il n’est pas le seul dans cette situation. À Mayotte, la moitié de la population de l’île se trouve en situation irrégulière – Mohéliens, Anjouanais et Grand-Comoriens ont moins le droit de cité que jamais.

« La crise sanitaire a exacerbé les difficultés persistantes sur le territoire, se désole Pauline Le Liard, chargée de projet du groupe local de la Cimade. Les difficultés d’accès à la préfecture, les difficultés de renouvellement des titres de séjour, les expulsions illégales de personnes qui ont un droit au séjour, les expulsions illégales de mineurs, les violations des droits des enfants à vivre avec leurs parents : pour tout cela, il y a un gros rythme depuis août. » Jusqu’au mois d’août dernier, les frontières des Comores voisines étant fermées, le pays ne reprenait plus ses ressortissants, empêchant les autorités françaises d’atteindre l’objectif énorme de 31 000 éloignements par an, qui était le leur avant l’irruption du Covid.

La reprise à un rythme soutenu des expulsions a eu plusieurs conséquences. D’abord, la création de lieux de rétention administrative (LRA) à plein régime, lesquels viennent renforcer le centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte, surchargé. Les LRA sont des locaux de rétention par destination, créés par arrêté préfectoral. « En LRA, les conditions sont inhumaines, on enferme 15 personnes dans 20 mètres carrés, femmes, hommes et enfants sont rassemblés, sans accès au droit, et ils mettent la clim’ à fond pour éviter les odeurs, dénonce un juriste proche de l’administration du CRA, qui a requis l’anonymat. Dans ces lieux, il n’y a pas de contrôle par une autorité indépendante. »

Autre conséquence de ce rythme soutenu d’expulsions : le nombre de mineurs isolés augmente et les émeutes dues à des affrontements entre adolescents de plusieurs villages sont chaque semaine plus nombreuses. Elles dégénèrent régulièrement en bataille rangée et sèment la terreur dans la population. Un collectif de citoyens mahorais nommé Mayotte en souffrance a récemment interpellé les pouvoirs publics sur la nécessité d’endiguer ces manifestations de violence, réclamant « des renforts policiers » et « la construction d’une prison pour [les] délinquants qui sont nés français ». Les renforts ne sont pourtant pas à l’ordre du jour. Il faudra compter sur les forces de l’ordre présentes pour faire régner une sorte d’équilibre de la terreur. L’enjeu : éviter que la paix civile ne vole en éclats pour de bon dans le 101e département français.

 

 


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