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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : basta - Maïa Courtois, Simon Mauvieux - 26/01/2022

Depuis plusieurs mois, à Calais, l’État mène une opération de communication en réaction aux drames humanitaires qui s’y déroulent. En coulisses, la rupture du dialogue avec les associations empêche toute avancée pour les personnes exilées.

Sur une table, une rangée de chaussures usées, mais propres, côtoie des écharpes et des gants. Derrière, une étagère de couvertures parfaitement pliées. Dans un coin, des tentes s’entassent dans des caddies. Une feuille maladroitement scotchée vient délivrer un dernier message : « Traversée maritime = danger. La température de l’eau est très froide. Entre 6 et 9 degrés/espérance de survie : environ 30mn. »

Ce lieu, appelé La Ressourcerie, a été inauguré le 13 janvier par la sous-préfète de Calais, Véronique Deprez-Boudier. Les exilés peuvent venir y récupérer leurs effets personnels et leurs tentes, régulièrement confisquées par la police, quand elles ne sont pas détruites, lors des évacuations des campements autour de Calais. Ces évacuations sont de plus en plus fréquentes, laissant à chaque fois les exilés encore plus démunis. Pour plusieurs associations, ce lieu de La Ressourcerie ne serait en fin de compte qu’« une tentative de légitimation du vol systématique des affaires des personnes exilées », dénonce Human Rights Observers (un réseau d’observateurs soutenu par l’association calaisienne L’Auberge des migrants). Au contraire, du côté des autorités, la sous-préfète défend « un système qui répond à un vrai besoin ». « C’est important que chaque personne puisse récupérer ses affaires, ses photos, ses biens personnels », a t-elle dit lors de l’inauguration.

« La police est revenue. Nous n’avons plus de tentes »

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Vue générale d’une partie du campement d’« Old Lidl », aux environs de Calais.©Teresa Suarez Zapater
 

La nuit précédente, dans la camionnette de maraude de l’association Utopia 56, les discussions sont interrompues par la sonnerie du téléphone d’urgence. Une voix jeune, à l’autre bout du fil : « La police est revenue. Nous n’avons plus de tentes. » Une demi-heure plus tard, les deux maraudeuses retrouvent le garçon qui les a appelées. Avec un ami, il patiente sur le parking désert d’un Auchan aux néons encore allumés. Les bénévoles les connaissent bien : ces deux garçons sont mineurs. Et ils ne sont pas nouveaux à Calais. L’association n’a pas assez de tentes pour leur en donner. Le stock s’épuise vite avec la confiscation du matériel par les forces de l’ordre. « On ne peut donner une tente qu’aux nouveaux arrivants », souffle Pauline Joyau, coordinatrice de l’association. Les deux garçons repartent dans le froid avec seulement deux couvertures. Avant de filer, l’un d’eux, l’allure discrète, demande où récupérer des chaussures.

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Ludovic Holbein et Anaïs Vogel ont réalisé une grève de la faim avec le père Philippe Demeestère en octobre 2021.©Simon Mauvieux
 

L’ouverture de La Ressourcerie n’arrive pas par hasard. Il s’agit de répondre à un enchaînement d’événements tragiques qui touche Calais depuis plusieurs mois. D’abord des images de tentes lacérées, d’évacuations violentes ; puis une grève de la faim en octobre dernier pour réclamer des conditions d’accueil dignes ; et enfin, ce naufrage qui a coûté la vie à 27 personnes dans la Manche fin novembre. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est alors rendu à Calais, Marlène Schiappa aussi.

L’un a promis « une lutte encore plus intense contre les passeurs » à grand renfort d’équipements pour la police et de l’avion de Frontex. L’autre, a vanté l’aide apportée par l’État aux exilés. « Oui, le ministère de l’Intérieur est aussi le ministère de l’humanitaire », twittait Marlène Schiappa au lendemain de sa visite à Calais du 1er décembre 2021. Cette visite a d’ailleurs ouvert une séquence de communication des autorités sur les réseaux sociaux, où préfecture, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et associations mandatées ont multiplié les publications sur le nombre de repas distribués, les mises à l’abri ou l’accès aux points d’eau. Une stratégie parfois bancale, comme lorsque l’OFII vante la distribution de « 2 200 000 repas en 2021 », avant de remplacer le tweet quelques heures plus tard, corrigeant « depuis mars 2018 ».

L’État entend continuer sa stratégie de démantèlement

Effectivement, l’État mandate plusieurs associations à Calais. La Vie Active distribue des repas ; l’Audasse maraude dans les campements pour informer les exilés sur les possibilités de mise à l’abri ; France Terre d’Asile s’occupe de mineurs isolés. Mais le ministère de l’Intérieur qui finance ces associations est le même qui organise, toutes les 48 heures, les expulsions des lieux de vie, la confiscation des biens personnels, voir la lacération des tentes. En liant le « dispositif humanitaire » avec l’action des forces de l’ordre, l’État entend bien continuer sa stratégie entreprise depuis le démantèlement de la « jungle de Calais », celle du « zéro point de fixation », pour éviter à tout prix la reconstruction d’un campement à grande échelle.

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« Si vous voulez me faire dire qu’en cadenassant tout comme ça, les services de l’État empêchent des personnes présentes sur Calais de manger… Oui, sans doute », Stéphane Duval (association La Vie active). ©Simon Mauvieux
 

Si un lieu de vie devient trop important, il est démantelé définitivement et la préfecture notifie aux associations mandatées de ne plus venir distribuer sur place. « Ils expulsent, ils enlèvent les "services", mais ils voient bien que les gens restent dans ces zones… Quand ça grossit trop, ils rééxpulsent, et ainsi de suite », s’agace Pierre Roques, coordinateur de l’Auberge des migrants, l’une des associations non mandatées qui distribue de la nourriture à Calais.

« Nous, on va sur les zones où on nous demande d’aller », justifie Stéphane Duval, responsable de l’action humanitaire de La Vie Active, mandatée et financée par l’État pour distribuer de l’eau et de la nourriture aux exilés. Pour l’ensemble de son « dispositif humanitaire » dans le Calaisis (nourriture, mise à l’abri, douches…), l’État a investi 22 millions d’euros en 2021. « On doit représenter une part importante de ces 22 millions », balaie Stéphane Duval. Impossible d’en savoir plus. La Vie Active renvoie vers le département. Le département renvoie vers la préfecture. La préfecture refuse de fournir les chiffres précis.

La Vie Active incarne tout le paradoxe de ce qu’il se passe ici. Isabelle*, ancienne salariée qui souhaite rester anonyme en raison d’une clause de confidentialité dans son contrat, se rappelle : « Quelquefois on était prêt à partir, le foodtruck était plein, et on nous disait : "non, vous n’y allez pas, on a reçu un ordre de la préfecture” ». Stéphane Duval reconnaît lui-même « l’ambiguïté autour d’un dispositif qui apporte à manger, avec des forces de l’ordre qui font du démantèlement derrière ». Il admet aussi son impuissance : « C’est de la politique... Moi je réponds à une demande. Si ça ne me paraît pas cohérent par rapport à nos valeurs, on monte au créneau ».

Il se souvient d’une conversation avec un exilé, qui ne comprenait pas pourquoi il se faisait « matraquer par des CRS le matin » avant de se faire servir à manger, deux heures plus tard, par une association « "payée par les mêmes personnes’’. Je lui ai dit qu’à Calais, ça a toujours été comme ça. On peut retourner le problème dans tous les sens… Est-ce qu’il y a une solution ? »

La préfecture a creusé un fossé bordé d’une butte de terre

De nombreux lieux de vie ne sont pas desservis par les distributions de nourriture de La Vie Active. À l’est de la ville, aux abords du campement dit du « Old Lidl », la préfecture a creusé en novembre dernier un fossé bordé d’une butte de terre, pour empêcher les associations non mandatées de venir distribuer sur le camp. Tout en ordonnant à la Vie Active de ne plus venir ici. « Si vous voulez me faire dire qu’en cadenassant tout comme ça, les services de l’État empêchent des personnes présentes sur Calais de manger… Oui, sans doute. Mais de toute façon, je n’arriverai jamais à donner à manger à tout le monde », reconnaît Stéphane Duval.

C’est sur ces secteurs que tentent de se rendre les autres associations (Salam, Auberge des Migrants, Calais Food Collective…), surveillées de près par la police. En septembre 2020, la préfecture a publié un arrêté interdisant à toute association non mandatée de distribuer de la nourriture dans le centre-ville de Calais. Deux ans plus tard, l’arrêté a été reconduit 18 fois. Et son périmètre s’est élargi. Installations de pierres pour empêcher les distributions, contraventions à répétition pour stationnement gênant, phare défectueux, ou encore non-respect du couvre-feu : la préfecture redouble d’ingéniosité pour entraver les associations. Utopia 56 affirme avoir reçu plus de 20 000 euros d’amendes, en deux ans, dans le cadre de ses missions à Calais.

Malgré ce contexte sous tension, les membres d’associations officielles et non mandatées communiquent de manière informelle de temps à autre, allant jusqu’à s’entraider. « On a parfois de très bons rapports avec ces associations, ça nous est déjà arrivé de les appeler pour nous dépanner en vêtements par exemple », confie Stéphane Duval.

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Un groupe de personnes fait la queue lors d’une distribution de nourriture de l’association La Vie Active.©Teresa Suarez Zapater
 

« On ne nie pas ce qu’ils font ; le problème, c’est surtout ce qu’ils ne font pas. Personne ne critique les 1200 repas distribués par jour par la Vie Active. Ce qui est critiqué, c’est qu’il y a encore des gens qui ont faim », soutient Ludovic Holbein, assis aux côtés d’Anaïs Vogel. Ces deux citoyens ont mené, avec le père Philippe Demeestère, la grève de la faim médiatisée en octobre dernier.

« Philosophiquement hostiles à l’idée qu’il puisse y avoir une frontière »

Le duo n’a pas pu approcher Gérald Darmanin ou Marlène Schiappa lors de leurs visites à Calais. Le gouvernement a cependant été forcé de se pencher sur leur grève de la faim menée pendant 38 jours. Un médiateur a été nommé : Didier Leschi, tout juste reconduit à la tête de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Son analyse de la relation entre l’État et les associations est lapidaire : « Il y a deux types d’associations à Calais. Celles qui sont ancrées dans le Calaisis depuis des décennies comme La Vie Active et France Terre d’Asile. Et celles qui ne viennent pas du Calaisis, dont les bénévoles ne sont là que pour quelques semaines, et qui ont une attitude d’autant plus radicale qu’elles ne sont pas du coin. » Dans le lot, des associations peu connues pour leur radicalité comme le Secours catholique, et d’autres, fondées et administrées par des Calaisiens et Calaisiennes, comme Salam ou l’Auberge des migrants.

Ces associations non mandatées seraient « idéologiquement no borders ». Comprendre : « Philosophiquement hostiles à l’idée qu’il puisse y avoir une frontière. Elles ne comprennent pas qu’on ne va pas déployer le Charles de Gaulle dans la Manche pour obliger les Anglais à ouvrir la frontière ! » Le ton est donné.

Face à ce médiateur, les trois revendications des grévistes de la faim étaient claires : pas d’expulsion pendant la trêve hivernale, pas de confiscation des affaires, ouverture d’un réel dialogue avec les associations non-mandatées et les exilés. Aucune n’a abouti. Les rares avancées « se sont arrêtées le jour de la fin de notre grève », explique Anaïs Vogel. C’est le cas d’un sas temporaire de mise à l’abri, définitivement fermé le jour même de la fin de la grève.

« Quand on leur parle de violences policières, ils nous répondent systématiquement que c’est faux »

Au cœur de ce dialogue impossible, il y a la stratégie « zéro point de fixation », assumée par l’État. « C’était la logique de la grève de la faim : on commencera à dialoguer lorsque vous arrêterez de bafouer les droits fondamentaux, et d’expulser tous les deux jours ! » martèle Pauline Joyau d’Utopia 56. Problème : la position du ministère de l’Intérieur n’est même pas un sujet de débat. « C’est un point absolument intangible », confirme Didier Leschi.

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« À Calais, rien ne sera obtenu en faveur des droits des personnes exilées sans rapport de forces », Juliette Delaplace (Secours catholique).©Simon Mauvieux
 

La rupture du dialogue avec les associations non-mandatées a atteint des sommets dans la séquence politico-médiatique autour du naufrage meurtrier de novembre et de la grève de la faim. Mais il s’agit d’un mal chronique à Calais. Dans un rapport d’enquête parlementaire paru en novembre, des députés constatent que les relations entre le tissu associatif et les services de l’État y sont « particulièrement conflictuelles ». Ils précisent : « Au mieux, des réunions ont parfois lieu mais, selon les acteurs, elles ne permettent aucune avancée concrète ; au pire, le dialogue est totalement rompu. »

Ce vendredi 7 janvier, les associations non-mandatées ont unanimement boycotté la réunion qui se déroule chaque mois en sous-préfecture. « Ce sont des espaces de dialogues creux, des coquilles vides, et ça n’avance pas », rapporte Juliette Delaplace, chargée de mission pour le Secours catholique. « Quand on leur parle de violences policières, de confiscation des affaires, ils nous répondent systématiquement que c’est faux », soupire Anaïs Vogel.

La sous-préfète regrette cette posture. « La porte reste ouverte, les associations sur Calais sont les bienvenues dans nos réunions, et il n’y a pas de sujet tabou », insiste-t-elle. Lors de la précédente réunion le 3 décembre, et pour la première fois depuis longtemps, des personnes exilées ont été autorisées à venir. La demande, portée de longue date par les associations, fait partie des avancées minimes obtenues par les grévistes de la faim. Pour l’occasion, une équipe de France3 a pu filmer quelques minutes de réunion. La préfecture a vanté sur ses réseaux sociaux une « discussion constructive ».

Ce jour-là, les représentants d’associations non-mandatées ont eu l’impression d’être piégés dans une opération de communication. « Ils passent leur temps à essayer d’entraver ce que l’on fait, tout en donnant une illusion de dialogue », synthétise Pauline Joyau d’Utopia56. « C’est super compliqué, parce que d’un côté on veut ce dialogue ; et d’un autre, on a l’impression d’être instrumentalisés dès que l’on retente », résume Ludovic Holbein. Alors, participer ou boycotter ? « Ce débat est anecdotique. Ce n’est pas dans ces réunions en sous-préfecture que se construit et se joue le rapport de forces », juge Juliette Delaplace, du Secours catholique. « Et à Calais, rien ne sera obtenu en faveur des droits des personnes exilées sans rapport de forces ».

Photos : ©Teresa Suarez Zapater ou ©Simon Mauvieux

 


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