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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Nejma Brahim - 20/03/2022

Près de 20 000 personnes ont gagné la France, quatre semaines après le début de la guerre russe en Ukraine. Dans les gares parisiennes, les femmes et leurs enfants continuent d’affluer, prises en charge par les équipes de la Croix-Rouge, des hébergeurs solidaires ou des proches.

Sa longue écharpe beige flotte dans les airs à mesure qu’elle marche d’un pas déterminé dans la gare Montparnasse, à Paris. Maria, 26 ans, vient tout juste d’arriver, aux côtés de sa mère Tatiana, de la ville de Dnipro en Ukraine. Elles ont fui quatre jours plus tôt. « On a dormi deux heures, même pas », chuchote-t-elle en prenant place dans l’espace « lounge » du hall 2, désormais réservé aux réfugiées ukrainiennes (voir Boîte noire). Ici, tout est fait pour accueillir et mettre en sécurité des personnes traumatisées par la guerre et l’exil, brutal, qui en découle.

Des dessins d’enfants décorent les murs, un espace jeux est à disposition des enfants. Au fond de la salle, un grand buffet propose aux réfugiées de l’eau, des boissons chaudes ou des fruits, en partie issus de dons. À l’entrée, les agent·es de la Croix-Rouge sont aux aguets. Accueil des personnes, organisation de leur trajet, distribution de billets de train et coordination avec l’assistance SNCF pour les acheminer vers les voies… Le tout avec l’aide de traducteurs et traductrices bénévoles, comme Sylvia, russophone, présente ce mercredi 16 mars après-midi.

« On a créé une boucle pour s’organiser et on est 360 en tout. J’ai aidé à traduire à la gare de l’Est, à Paris, mais aussi à Toulouse, car je vis entre les deux. J’ai les compétences et je ne pouvais pas rester sans rien faire », confie-t-elle, avant de retourner discuter avec un groupe d’exilées tout juste arrivées. Assise dans un coin, Maria en profite pour recharger son portable. Sa mère la rejoint, en silence, encore éprouvée par ce qu’elle a vu et vécu en Ukraine.

Maria et sa mère Tatiana, réfugiées ukrainiennes, s'apprêtent à prendre le train pour Saint-Nazaire. © Nejma Brahim / Mediapart

« Ma mère vivait à Kherson, qui a été très touchée par les bombardements, et moi à Dnipro, poursuit Maria. Elle a dû se cacher dans les caves pendant des jours. Ma grand-mère était trop âgée pour descendre dans les sous-sols, alors on lui disait de se cacher dans les couloirs de son appartement, derrière un mur porteur, au cas où… »

« Ça faisait très peur », souffle Tatiana. Les sirènes pouvaient sonner sept à huit fois par jour, tous les jours. « Des fois, ça sonnait pendant 1 h 30, j’avais l’impression que quelqu’un s’était assis sur le bouton », plaisante Maria, qui sait dire « bonjour » et « merci ».

La jeune femme fredonne un air, puis sourit : « Quand j’étais petite, mon père me faisait écouter Joe Dassin. Alors, quand je suis arrivée ici, j’ai reconnu la langue et je me suis sentie rassurée. » Toutes deux doivent justement le rejoindre à Saint-Nazaire, où il travaille depuis quatre ans en tant qu’ouvrier sur le chantier de la base navale, qui emploie de nombreux Ukrainiens. Les billets de train sont gratuits, de même que les tickets de métro pour se déplacer d’une gare à une autre.

Elles refusent donc, sans réfléchir, la place qui leur est proposée en centre d’accueil et n’attendent qu’une chose : prendre le train du soir, direction Saint-Nazaire. « Ce n’est pas la première famille à vouloir se rendre là-bas, vu qu’il y a le chantier », confirme un bénévole de la Croix-Rouge.

« Mon père nous attend, il a déjà préparé le repas. Mais on ne restera dans son logement qu’une nuit, car il vit avec d’autres ouvriers et on ne peut pas rester avec autant d’hommes. » Et après ? « Je ne sais pas. On restera en France peut-être un mois ou deux… On verra. »

Plusieurs générations en exil

Mercredi 16 mars, le centre unique d’Accueil Ukraine, d’abord ouvert en urgence dans le XVIIIe arrondissement de Paris, a déménagé dans le XVe, Porte de Versailles, pour répondre à l’affluence des réfugiées ukrainiennes. Il est géré par l’association France terre d’asile.

Selon la cellule interministérielle de crise, chargée de l’accueil des exilé·es, la France pourrait accueillir jusqu’à 100 000 réfugiées ukrainienes, « voire davantage ». Une majorité de femmes, d’enfants et d’adolescents. « C’est une crise exceptionnelle. Exceptionnelle aussi par la rapidité de ces déplacements », a souligné Julien Boucher, directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) au micro de BFMTV.

Beaucoup de personnes âgées sont basées dans des villes dangereuses et refusent de partir. On a fini par réussir à la convaincre.
Anne, 19 ans, et sa mère Larisa, 48 ans

En fin de journée, trois générations de femmes pénètrent la salle de repos. Anne, 19 ans, Larisa, 48 ans et Zina, 85 ans, arrivent de Kyiv (ou Kiev, si l’on choisit la prononciation russe), après être restées terrées, du 24 février au 8 mars, dans les sous-sols d’un bâtiment. Elles ont ensuite pris le train pour Lviv, à l’ouest du pays, puis pour la Pologne, avant de gagner Berlin et Paris. « C’est difficile de ranger 19 ans de sa vie dans un petit sac », dit Anne en pointant du doigt son bagage posé par terre.

« Le trajet a été très dur et très long, surtout pour ma grand-mère. Beaucoup de personnes âgées sont basées dans des villes dangereuses et refusent de partir. On a fini par réussir à la convaincre », soupirent Anne et Larisa, qui n’auraient pas pu partir sans elle. Sur son smartphone, Larisa montre l’une des photos qu’elle a prises avant de partir : un immeuble troué par une bombe, situé à seulement 300 mètres du leur.

Anne (la fille), 19 ans, Larisa (la mère), 48 ans, et Zina (la grand-mère), 85 ans, ont fui l'Ukraine pour se réfugier en France. © Nejma Brahim / Mediapart

Anne continue, par réflexe, de surveiller ses notifications pour les alertes et sirènes à Kyiv, qui s’affichent heure par heure. La famille se dit « traumatisée » et a pensé, l’espace d’un instant, en arrivant en France, avoir entendu le bruit d’une bombe. « Une amie à moi est restée à Kharkiv. Sa mère travaille à l’hôpital et elle n’a pas voulu la laisser seule. La ville a été démolie, ils n’ont ni eau ni nourriture. Mais il y a des naissances, et cette nouvelle génération redonne de l’espoir », poursuit cette artiste en formation, qui ignore si elle pourra « décrocher un jour son diplôme ».

Larisa a choisi la France car un ami de la famille, vivant à Toulouse, leur a proposé de les accueillir. « Moi, avoue Anne, en passant une main dans ses cheveux colorés de vert, je voulais rester à Berlin. Mais bon, on s’habituera à vivre en France. » Même scénario, le lendemain, à la gare de l’Est : plusieurs affiches indiquent en langue ukrainienne la salle de repos qui est dédiée aux réfugiées arrivant d’Allemagne.

Une famille que je connais a voulu fuir la ville mais l’armée russe a tiré sur leur véhicule. La mère et sa fille, qui était étudiante, ont perdu la vie.
Oksana*, réfugiée ukrainienne

Devant l’ancienne brasserie La Consigne, une mère et sa fille, ainsi qu’une amie de la famille, sont venues demander de l’aide aux équipes de la Croix-Rouge qui filtrent l’entrée aux côtés d’un agent de sécurité. « Nous voulons aller à Charleville-Mézières, car nous avons obtenu une solution d’hébergement là-bas. Il y a aussi mes deux neveux avec nous, âgés de 16 et 20 ans. » Avant de fuir l’Ukraine, le frère d’Oksana* a préféré les lui confier. « Nos hommes sont restés là-bas pour défendre notre pays. Ils ont rejoint la Défense territoriale. »

Originaire de Mykolaïv, la mère de famille assure qu’elle ne voulait pas partir. Elle s’est décidée « pour sauver les enfants », mais hésite encore à y retourner pour se rendre utile sur place. Dans une vidéo que son mari lui a envoyée, Oksana découvre la ville de Kharkiv sous les bombes et nous montre, désemparée, les corps sans vie gisant à terre ou les soldats transportant les blessés.

« La voiture de ma meilleure amie a été criblée de balles », souffle  sa fille, adolescente. « Une famille que je connais a voulu fuir la ville mais l’armée russe a tiré sur leur véhicule. La mère et sa fille, qui était étudiante, ont perdu la vie », déplore Oksana, qui ne peut retenir ses larmes. L’une de ses collègues, restée sur place quelques jours supplémentaires, a filmé depuis sa fenêtre l’immeuble d’en face bombardé par les Russes.

Des chaînes de solidarité se mettent en place

« C’est très triste. C’est la deuxième guerre qu’on vit en Ukraine. On parle russe, mon frère vit en Russie. Je n’aurais jamais cru que la Russie pourrait nous attaquer ainsi. C’est comme si elle bombardait ses propres frères », regrette l’amie d’Oksana, qui parle déjà un peu français. Et de confier s’être disputée avec son frère, sous l’emprise, dit-elle, de la« propagande russe ».

« Là-bas, ils n’ont pas les mêmes informations que nous. Il croit que l’Ukraine bombarde elle-même son pays… » À cause de grèves jeudi 17 mars, le groupe n’était pas sûr de pouvoir gagner Charleville-Mézières dans la journée. « On a déjà dormi dans un gymnase hier soir », disent-elle, en montrant une vidéo d’elles au milieu d’une multitude de matelas, au centre d’accueil où elles ont passé la nuit, Porte de Versailles.

Une jeune Ukrainienne installée à Paris attend l'arrivée d'une famille de réfugiées ukrainiennes en gare de l'Est, vendredi 18 mars. © Nejma Brahim / Mediapart

Vendredi, sur le quai de la voie 29, à 11 h 30, un Nogentais âgé d’une cinquantaine d’années attend patiemment la descente des voyageuses et voyageurs du train en provenance de Francfort. Dans ses mains, une affiche aux couleurs de l’Ukraine appelant « Irina », une réfugiée censée arriver seule à Paris.

« Des amis polonais vivant à Lyon m’ont demandé si je pouvais la récupérer et l’héberger quelque temps. J’ai tout de suite accepté, vu la situation sur place et sachant qu’on a de l’espace à la maison », confie-t-il, avant de découvrir les traits – éreintés – de la jeune femme, rassurée malgré tout de voir que quelqu’un l’attend dans ce pays qu’elle ne connaît pas.

À quelques voies de là, une jeune Ukrainienne installée à Paris depuis plusieurs années fait de même. Une affiche improvisée à la main, elle attend une famille dont elle ne sait rien à la demande de ses amis, habitants de Niort.

« Ils veulent les accueillir chez eux et m’ont demandé de les attendre à la gare pour les aider ensuite à prendre le train à Montparnasse », confie-t-elle du bout des lèvres, refusant d’être déconcentrée et de risquer de les rater à leur sortie du train en provenance de Stuttgart.

Au passage, une jeune femme, la trentaine, sac à dos pour seul bagage, reconnaît les couleurs du drapeau ukrainien qu’elle arbore et lui demande où se trouvent les locaux de la Croix-Rouge. « Ça y est, je crois que je les vois », lance-t-elle en apercevant une mère de famille, une adolescente et une fille âgée de cinq ans, toutes chargées de bagages. La petite éclate en sanglots, exténuée par le voyage.

L’adolescente montre le petit dernier, un bébé d’à peine quelques mois, lové dans le couffin qu’elle porte. Le groupe marche en direction de la salle de repos, car le bébé a besoin d’être changé. Après une courte pause, elles disparaissent dans les couloirs du métro, en direction de la gare Montparnasse.

À ce stade du conflit, plus de trois millions de réfugiées ont fui l’Ukraine. 20 000 ont déjà trouvé refuge en France. De nombreux maires, y compris les plus réfractaires à l’accueil des exilé·es en temps normal, comme à Calais ou Perpignan, ont ouvert les portes de leur ville.

 


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