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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : InfoMigrants - Julie Bourdin - 27/01/2023

Aux portes de l'Union européenne, des centaines de migrants sont arrêtés pour avoir conduit un bateau ou une voiture et, ainsi, "faciliter l’immigration illégale". Les peines peuvent atteindre des dizaines d'années de prison.

Le jour où Mahtab Sabetara apprend que son père est en prison en Grèce, elle est presque soulagée. Depuis dix jours, elle et sa sœur cadette n’avaient plus aucune nouvelle de Homayoun Sabetera, 58 ans, qui avait fait appel à un passeur pour l’aider à traverser la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce. “Au moins, il est vivant”, se dit-elle.

Mais après quelques mois, son inquiétude grandit. “Mon père minimisait les choses, disait qu’il était dans un camp de réfugiés fermé, on pensait qu’il serait bientôt relâché. En réalité, c’était la prison de Korydallos”, explique-t-elle à InfoMigrants. “Je n’ai pas tout de suite réalisé que c’était très grave, parce que mon père avait conduit la voiture”.

Homayoun Sabetera est en effet accusé d'être entré illégalement en Grèce au volant d’une voiture avec sept passagers, tous demandeurs d’asile. Aux yeux de la loi grecque, il est donc considéré comme un passeur ou un “facilitateur” d’immigration clandestine. Plus de 2 200 détenus sont en prison dans le pays pour des accusations liées au trafic de migrants, selon des statistiques publiées récemment par le journal eKathimerini. Et des milliers à l'échelle européenne : entre 2018 et 2021, au moins 9 862 personnes ont été arrêtées dans l’Union Européenne (UE) pour “trafic de migrants”.

Mais parmi eux figurent de nombreux exilés, arrêtés, comme Homayoun Sabetera, pour avoir piloté un bateau ou conduit une voiture. De simples “boucs émissaires” selon les ONG, pris dans les filets d’une “chasse aux passeurs” aux frontières. Tenir la barre d’un zodiac, une boussole, un téléphone satellite, ou même avoir appelé les secours peut suffire à faire condamner des migrants à des dizaines d'années de prison.

“Il m’a visé avec un pistolet, j'étais terrifié alors j’ai pris la barre”

A deux frontières opposées de l’Europe, Fouad Kakaei et Osmane* savourent leur liberté retrouvée. Originaires respectivement d’Iran et du Mali, ils n’ont rien en commun si ce n’est d’avoir fait les frais de cette “chasse aux passeurs” : tous deux ont récemment été libérés après plusieurs années en prison pour avoir piloté un bateau de migrants. Et se disent chacun victime d’un système judiciaire à charge.

Fouad Kakaei, 31 ans, a atterri en prison après son interpellation par la Border Force britannique alors qu’il tentait de traverser la Manche, en décembre 2019. Plus de 900 personnes ont ainsi été arrêtées pour “facilitation d’immigration clandestine” depuis 2015 dans le seul comté britannique de Kent, où les arrivées de canots pneumatiques ont explosé ces dernières années. Après avoir franchi la mer Egée et parcouru la route des Balkans pour finalement être débouté de l’asile au Danemark, Fouad Kakaei a payé plusieurs passeurs pour rejoindre le Royaume-Uni. A sa troisième tentative, à bord d’un canots avec 13 passagers, la situation devient dangereuse : il prend alors la barre. Il est condamné à 26 mois de détention pour avoir "facilité l’immigration illégale". Dans sa prison, selon lui, 28 autres détenus sont poursuivis pour les mêmes charges.

Osmane, lui aussi, dit avoir été forcé à conduire le bateau. “Avant la traversée, je n’avais vu la mer qu'à la télévision", raconte-t-il, dans le bureau de son avocate à Catane, en Sicile. Osmane a fui la Libye à bord d’un bateau pneumatique avec 115 autres migrants. Sur les premiers mètres, un homme “blanc avec un gros pistolet” tient la barre. Puis “le conducteur a pris ma main, l'a mise sur le moteur, et a sauté sur un autre bateau", se souvient Osmane : “Il m’a visé avec un pistolet, j'étais terrifié alors j’ai pris la barre.” Son récit est confirmé par quatre témoignages de migrants du même bateau, interrogés par la police italienne après leur sauvetage par un navire humanitaire. Pourtant, “on m'a débarqué et amené directement en prison”, raconte Osmane. “J'y ai passé un mois sans même me rendre compte que j'étais en Italie”.

“C'est apparemment une stratégie des passeurs : ils font la moitié du chemin, puis ils disent aux réfugiés de conduire, quand il est trop tard pour faire demi-tour”, explique Mahtab Sabetera. Elle en sait quelque chose : son père aussi dit être tombé dans ce piège. Parti avec peu d’argent liquide, il aurait promis au passeur de lui payer 2000€ dès son arrivée en Europe. Mais une fois la frontière grecque franchie, celui-ci l’aurait menacé de mort et forcé à conduire la voiture jusqu’à Thessalonique. Face au tribunal, peu importe : plus d’un an après son arrestation, Homayoun Sabetera est condamné, le 26 septembre 2022, à 18 ans de prison ferme.

“Mon père fait partie des millions de personnes qui ont dû quitter leur pays et, sur la route, ont été forcées à faire quelque chose de soi-disant illégal", le défend Mahtab. “Les juges savent très bien qu’il n’est pas un passeur, mais ils créent des boucs émissaires pour dissuader les autres réfugiés", dit-elle. “Le plus triste, c’est que ça ne dissuade personne : ces gens n’ont rien à perdre".

Dysfonctionnements judiciaires

“Beaucoup d'accusés ne comprennent même pas pourquoi ils sont arrêtés", explique Dimitris Choulis, un avocat pénaliste exerçant sur l'île grecque de Samos, en mer Egée. Il a défendu des dizaines de migrants accusés d'être des “facilitateurs”, et a co-fondé, en 2020, l’organisation Human Rights Legal Project, qui leur fournit une défense judiciaire pro bono contre ces procès qu'il considère profondément inéquitables. "On désigne un avocat commis d’office qui a dix minutes pour préparer le dossier, le procès dure dix minutes, le juge calcule la peine par rapport au nombre de migrants transportés et l'accusé retourne en prison”, résume-t-il.

La loi grecque prévoit jusqu'à dix ans de prison par migrant transporté. Ainsi, en mai dernier, un père de famille syrien a été condamné à 187 ans de détention pour avoir conduit une embarcation ayant fait naufrage au large de l'île grecque de Paros. Les détenus purgent ensuite un maximum de 20 ans fermes, et les peines peuvent être réduites en appel ou avec des circonstances atténuantes. “Mais même si ce n'était que quelques années - ce qu’on fait ici, c’est voler du temps à leurs vies”, s’insurge Dimitris Choulis. “Nos juges ne doivent pas être de simples calculatrices : ils devraient essayer de comprendre et trouver une sanction réellement appropriée."

Les ONG de défense des migrants dénoncent également des “simulacres d'enquêtes", qui peuvent mener de nombreux innocents en prison. Le porte-parole des garde-côtes grecs, de son côté, réfute formellement ces accusations, indiquant au journal Libération que “toutes les poursuites criminelles ont été engagées à la suite de procédures d’enquête préliminaire détaillées”.

“On a le cas d’un homme accusé d'être un passeur parce qu’il tenait le GPS. Parfois ils choisissent même une personne au hasard”, abonde Dimitris Choulis. “Dans ce genre de cas, vous devriez être invisible. Si vous vous faites remarquer, qu’on voit votre visage, vous pouvez être accusé.”

Ainsi, malgré les témoignages de plusieurs co-passagers indiquant avoir payé des passeurs restés en Libye, Osmane est tout de même identifié par la police italienne comme le pilote, avec le facteur aggravant d’une “motivation lucrative”. “J’ai reçu un papier du tribunal en anglais, alors que je ne parlais que Bambara. Je ne le comprenais pas, mais on m’a dit de signer, alors j’ai signé”, relate-t-il. Finalement, un codétenu gambien parvient à lui traduire le document : sans le savoir, il a signé des aveux. Sans nouvelles de son avocat commis d’office, il apprend sa condamnation en première instance à huit ans de prison et une amende de quatre millions d’euros. "J'étais désespéré", dit-il.

Aide juridique pro bono

Depuis sa cellule, par le bouche à oreille, Osmane entend finalement parler de Rosa Lo Faro, une avocate sicilienne. “Avec elle, ils m’ont dit que je serais en sécurité à 100%”, dit-il. En appel, elle parvient à faire réduire de moitié sa peine : en 2020, après plus de trois ans derrière les barreaux, Osmane est enfin libéré.

Depuis plusieurs années, les migrants, ONG et avocats s’organisent ainsi pour répondre à ces nombreuses arrestations. A l'été dernier, plusieurs organisations dont la plateforme Alarm Phone, Sea-Watch et l’association Borderline Europe ont lancé la page Captain Support, qui vise à informer les migrants des risques encourus et de leurs droits s’ils sont accusés. Une aide juridique pro bono leur est également fournie. 

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En Grèce, les avocats du Human Rights Legal Project et de l’organisation Legal Center Lesvos sont ainsi parvenus à faire acquitter plusieurs migrants. Le 9 décembre, deux pères de famille afghans initialement condamnés à 50 ans de détention ont été libérés en appel après près de trois ans en prison. Mais “ce dont on rêve, c’est de changer la législation - et ça doit venir d’une initiative à l'échelle européenne", explique l’avocat Alexandros Georgoulis, qui exerce sur l'île de Chios.

Cette défense n’a pas suffi dans le cas de Homayoun Sabetera. Depuis son procès, “je mange très peu et je ne dors plus beaucoup, sinon je fais des cauchemars”, admet Mahtab. Par-dessus tout, la jeune étudiante ressent maintenant la responsabilité d’informer. “Le cas de mon père a été remarqué, on a eu du soutien”, dit-elle. “Mais tant de personnes n’ont même pas cette chance : l’occasion d'être entendues”. 

* Le nom a été changé pour éviter des répercussions sur sa demande d’asile en cours

Lorenzo D’Agostino et Stavros Malichudis ont contribué à ce reportage.

Ce reportage a été réalisé avec le financement du fonds Investigative Journalism for Europe (IJ4EU), et avec le soutien complémentaire de Lighthouse Reports.

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