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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Nejma Brahim - 30/04/2023

Elle était attendue par les uns, redoutée par les autres. En une semaine, l’opération « Wuambushu » a essuyé plusieurs revers et surtout attisé les tensions avec la population.

Mamoudzou (Mayotte).– Il y a d’abord eu cette première démolition, prévue dans le quartier de Talus 2 à Majicavo (au nord de Mamoudzou), mais annulée par la justice. Les cases en tôle visées par l’opération avaient pourtant déjà été numérotées et une permanence avait été lancée pour proposer des solutions d’hébergement à une partie des habitant·es.

« La destruction des habitations des requérants, conséquence de la décision de l’administration, est manifestement irrégulière », a pointé la juge des référés dans son ordonnance, relevant une « voie de fait » et expliquant que l’opération de démolition pourrait avoir un « impact certain sur la sûreté » des habitant·es.

Cette même juge, également présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou à Mayotte, a dans la foulée été prise pour cible par les partisans les plus acharnés de l’opération « Wuambushu », préparée par Gérald Darmanin pour démolir les bidonvilles, traquer les jeunes dits « délinquants » et expulser les sans-papiers.

 

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Un jeune homme enfermé au local de rétention administrative de M'tsapéré, le 26 avril 2023. © Nejma Brahim / Mediapart

Le Figaro et Europe 1, puis Valeurs actuelles, n’ont ainsi pas hésité à publier le portrait de la juge, en mentionnant son nom et en remettant en cause son impartialité au prétexte d’une vieille adhésion au Syndicat de la magistrature, alors que la justice était déjà pointée du doigt par des collectifs mahorais l’estimant trop « laxiste » avec les auteurs de crimes et délits sur l’île.

« On ne peut être juge et partie. Quand on est juge, on se respecte. Le harcèlement judiciaire coordonné entre les droits-de-l’hommistes et certains magistrats partisans, ça ne passera pas », a tweeté le député Les Républicains de la deuxième circonscription de Mayotte, Mansour Kamardine, en réaction à l’article d’Europe 1.

Des expulsions bloquées par les Comores

Le procureur de la République, Yann Le Bris, a très vite apporté son soutien à la présidente du tribunal, expliquant que la justice devait « pouvoir travailler sereinement dans le respect du droit ». « Cela peut inquiéter d’autres magistrats qui seraient amenés à prendre des décisions en lien avec Wuambushu », alerte un haut fonctionnaire basé à Mayotte.

Il y a eu ensuite le fameux bateau baptisé Maria Galanta, censé reconduire les personnes en situation irrégulière depuis les centres de rétention administrative (CRA) jusqu’aux Comores. Mais il fut contraint de rebrousser chemin avant même de dépasser les eaux territoriales françaises car les ports comoriens gardaient portes closes.

« Mercredi, treize personnes devaient être éloignées vers les Comores, relate une avocate. Le bateau est parti dans la matinée et est revenu en début d’après-midi à Mayotte. Elles ont de nouveau été enfermées au CRA puis libérées sur décision du juge des libertés et de la détention dans la nuit. »

Jeudi, l’Union des Comores a annoncé la reprise des rotations, mais sans accepter « aucun refoulé » de Mayotte, « sous peine de retirer la licence à la compagnie [SGTM – ndlr] » détenant le Maria Galanta. Celle-ci a annoncé dans la foulée suspendre toute rotation dans le contexte actuel.

Alors que l’opération Wuambushu devait permettre des expulsions massives de Comorien·nes basé·es à Mayotte parfois depuis des dizaines d’années – entre 70 et 80 personnes sont déjà éloignées chaque jour en moyenne tout au long de l’année –  ces multiples rebondissements sont le signe d’un échec cuisant pour les autorités préfectorales et le ministère de l’intérieur.

En parallèle, le CRA de Petite-Terre, d’une capacité maximale de 136 places, était occupé par environ cent personnes cette semaine. Pour les besoins de Wuambushu, un nouveau local de rétention administrative (LRA) – sorte d’intermédiaire visant à placer des personnes en rétention en attendant leur transfert en CRA – était quasiment vide deux jours après son ouverture, comme a pu le constater Mediapart, démontrant que les interpellations ne sont pas plus nombreuses que d’habitude (soit parce que les personnes sans papiers se sont cachées par peur d’être contrôlées, soit parce que les éloignements étaient tout bonnement impossibles cette semaine).

Une démolition en guise de coup de com’ pour le préfet

Pour redonner de l’élan à l’opération Wuambushu et tenter de rassurer, tôt dans la matinée de jeudi, une démolition de maisons en dur était lancée à Longoni, au nord de Mayotte, puis annoncée en grande pompe par le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, lors d’une conférence de presse organisée sur le site d’un futur lycée professionnel, où un chantier a déjà débuté et pour lequel un arrêté de démolition avait été pris dans le cadre de la loi Élan.

Oui mais voilà : cette démolition n’avait rien à voir avec Wuambushu, et les habitations concernées étaient déjà vides depuis quelque temps. Seules quelques familles y avaient des élevages mais ont été prévenues en amont de la démolition pour pouvoir les récupérer. L’occasion – un brin théâtralisée – pour le préfet de montrer que l’État « agit », après le revers essuyé lundi soir au tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Impatients, près d’un millier de citoyens de Mayotte organisaient une manifestation pro-Wuambushu à Chirongui, jeudi matin, pour réclamer des résultats « concrets » au gouvernement français. « Ra Hachiri » (« Nous sommes vigilants »), scandait la foule, composée de divers collectifs citoyens.

Moussa*, issu d’une famille mixte – mère mahoraise, père comorien – assume soutenir l’opération « parce que Mayotte est en crise et ne peut pas accueillir tout le monde ». Mais il veut tempérer le discours de nombreux habitants de Mayotte qui n’hésitent pas « à mettre tout le monde dans le même sac » : « On a un gros problème de délinquance ici, mais il ne faut pas pointer du doigt uniquement les Comoriens, parce qu’il y a aussi des Anjouanais, des Mohéliens et même des Mahorais. »

 

Des enfants dans le bidonville de Doujani 2 à Mayotte, le 23 avril 2023. © Nejma Brahim / Mediapart

Sur les réseaux sociaux, les messages de haine pleuvent depuis des semaines, appelant à répondre par la force, traitant les Comoriens et Anjouanais de « cafards » ou de « terroristes ». Les rares messages venant apporter de la nuance suscitent un tollé.

« Si on veut vraiment vivre en paix et en sécurité, ce n’est pas par la force que nous allons trouver une solution. Un dialogue sérieux entre résidents de l’île sans distinction de race, d’origine ou de religion est primordial », suggère Nayi. « NOUS NE NÉGOCIONS PAS AVEC LES TERRORISTES », lui répond Saïd. « Chacun chez soi ! », enchaîne Patrik. Et Ali d’ironiser : « Qu’ils rentrent chez eux et on discutera après par visio ! »

Les pour et les contre

Dans un café de Mamoudzou, nous retrouvons Frédéric, un « mzungu » (« blanc » en shimaoré) basé à Mayotte depuis plusieurs années. Il se dit révolté par les violations du droit à Mayotte, par toutes ces expulsions vers les Comores qui se font parfois avant même qu’une audience ne se tienne au tribunal en cas de recours, par cette politique du chiffre qui guide aujourd’hui la préfecture et l’État. « Wuambushu, pour moi, ce n’est qu’une petite cerise sur le gâteau. Ce n’est rien d’exceptionnel par rapport à tout ce qui se passe ici chaque jour. »

« Et qu’est-ce que vous faites de toutes les personnes agressées à Mayotte ?! », s’emporte un Mahorais attablé derrière lui. « Moi, je suis père de famille et on m’a pointé une bouteille cassée à la gorge pour que j’aille retirer de l’argent. Je les ai suppliés, je me suis chié dessus. C’étaient des jeunes avec une carte de séjour, inscrits à la fac de Dembéni. Je suis passé en jugement et il n’y a rien eu. Ils n’ont pas écondamnés car il paraît qu’ils étaient novices. »

Ça me tue d’entendre des magistrats, des médecins ou droits-de-l’hommistes venir dire que Wuambushu, c’est pas bien. Il faut frapper fort.
Un habitant de Mayotte issu d’une famille mixte

Enfant d’un père immigré originaire d’Anjouan, il a longtemps milité dans des associations en faveur de l’insertion des jeunes, « peu importe leur profil ».

« Aujourd’hui, je travaille à l’hôpital et il ne se passe pas un jour sans qu’on ne reçoive des patients avec une main ou un bras coupé après une agression. Alors oui, on a besoin d’une opération comme Wuambushu.

Et que faites-vous des mères et enfants innocents qui vont être les premières victimes des démolitions et des expulsions, rétorque Frédéric. Au lieu de faire un Wuambushu où on va dégager tout le monde, on devrait organiser une opération qui cible les délinquants uniquement, qui sont souvent des mineurs isolés non expulsables. Là, on va virer des gens et garder nos délinquants.

Ça m’attriste autant que vous. Je n’accuse pas les étrangers mais tous ceux qui ne s’occupent pas de leurs enfants. Ça fait mal de voir cette jeunesse errer comme ça. Mais on a des gamins qui rentrent à la maison et disent ne plus vouloir aller à l’école parce qu’ils ont été agressés dans le bus scolaire. Ça me tue d’entendre des magistrats, des médecins ou droits-de-l’hommistes venir dire que Wuambushu, c’est pas bien. Il faut frapper fort. Et si nous, victimes, on n’a pas de justice, je ne vois pas pourquoi les autres y auraient droit », conclut-il.

 

Des gendarmes lors d'affrontements avec des jeunes à Majicavo, au nord de Mamoudzou, le 25 avril 2023. © Nejma Brahim / Mediapart

Une nouvelle manifestation des pro-Wuambushu s’est tenue à Mamoudzou samedi. L’opération a aussi créé des tensions dans plusieurs quartiers de Mayotte, comme à Majicavo, Doujani et Tsoundzou, où les renforts de police ont parfois été perçus comme le signe d’un potentiel « décasage » à venir, et où des groupes de jeunes ont choisi de les affronter.

Des forces de l’ordre déjà dépassées

« Je ne les défends pas, ils ont même cassé notre voiture parce qu’ils auraient voulu qu’on aille se battre avec eux, raconte une habitante de Doujani. Mais il faut les comprendre : ils défendent leurs parents et leur maison. Personne ne vient leur parler. Au lieu de ça, on leur envoie la police qui agit n’importe comment. »

« Il y a une stratégie de mise sous pression des habitants, relève le haut fonctionnaire déjà cité. On envoie par exemple des pelleteuses à Kawéni alors qu’il ne va pas forcément y avoir de décasage là-bas. » Pour lui, la forte présence policière, qui tendait à rassurer les habitant·es de Mayotte pro-Wuambushu au départ, ne veut plus rien dire.

« Les gens s’inquiétaient de ce qui adviendrait quand ils partiraient ; mais finalement, ça ne va pas même quand ils sont là. C’est même pire : on se demande chaque soir dans quel quartier ça va péter. L’opération attise clairement les tensions avec les jeunes. »

Les renforts de police et de gendarmerie ont été envoyés « les doigts dans le nez », persuadés qu’ils pourraient reproduire ici ce qu’ils faisaient « en banlieue ». « Force est de constater qu’ils n’y arrivent pas, tacle le haut fonctionnaire, redoutant des violences policières. Ils ne connaissent pas les lieux, c’est très vallonné et il fait nuit tôt. Ils ont déjà l’air fatigués. » Pour le moment, conclut-il, c’est un « échec » : « Il n’y a pas de décasage, pas de reconduite sur fond de bordel diplomatique avec les Comores, pas d’impact particulier sur les arrestations malgré ce que dit Darmanin. »

Face à tant de déconvenues, Gérald Darmanin a réaffirmé vendredi, s’enfonçant encore un peu plus dans le déni, sa volonté de mener coûte que coûte l’opération Wuambushu, expliquant que cela prendra « le temps qu’il faudra » et qu’il « laissera le nombre de policiers et gendarmes qu’il faudra » pour permettre à Mayotte de redevenir une « île normale ». Il s’est aussi vanté de voir que « depuis trois jours et pour la première fois dans l’histoire de la République, il n’y avait plus de kwassa-kwassa partant des Comores vers Mayotte ».

 


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